mercredi 31 janvier 2018

Petit journal d'une grossesse (suite et fin)

Jusqu'ici, nous avons passé nos vacances de fin d'année à nous rendre à l'hôpital pour le suivi de la croissance du bébé.  Pendant ce temps, le bébé est bien actif dans mon ventre : son activité préférée consiste à étirer ses jambes. D'après Google, il n'est pas possible pour un pied de bébé de passer à travers la peau de mon ventre mais j'ai quand même des doutes.

Continuons le récit. Attention, cette partie contient nombre de détails sanglants et/ou situé du côté de mon bas-ventre. Ames sensibles : s'abstenir.

Vendredi 5 janvier
Nous voila de retour à l'hôpital pour la millionième échographie. Cette fois, la technicienne doit être particulièrement expérimentée : en 3 minutes chrono, toutes les mesures sont prises. Ensuite on retourne au Day Assessment Unit pour l’électrocardiogramme habituel, en attendant les résultats.

Un peu plus tard, une médecin vient nous voir et nous explique que les résultats ne sont pas terribles : le bébé n'a pas grandi et le niveau de liquide amniotique est descendu. En résumé, le placenta a commencé à plier bagage et ne nourrit plus convenablement le bébé.
"Dans l'idéal, on aurait déclenché votre accouchement le 16 janvier comme prévu, mais là ça devient urgent."
"Ah, urgent comment?"
"Dimanche".
"Après-demain ?"
"Oui, dimanche"
"C'est un peu soudain, on ne ferait pas mieux d'attendre plus ? On a des amis qui arrivent et..."
"Dimanche."
"Bon."

Ce soir-là, nous invitons un ami pour jouer une dernière partie de Catan et le lendemain, Christophe va grimper une dernière fois puis nous sortons une dernière fois au restaurant. La fin est proche.

Dimanche 7 janvier
Nous avons préparé notre sac pour l'hôpital. Nous ne savons pas vraiment quoi emporter pour le bébé donc on prend un peu de tout. Pour moi, ce sont surtout des snacks, biscuits, crackers et barres de céréales. Il parait qu'il faut prendre des forces avant d'accoucher.

A midi, nous sommes à l'hôpital. Une dernière échographie confirme le déclenchement pour aujourd'hui. Je croyais encore que la dernière échographie s'était trompée et pouvoir y échapper. En tout cas ma chambre est fantastique : une grande chambre privée avec salle de bain, un siège inclinable pour Christophe et une vue magnifique sur la baie d'Auckland.

Au loin : le volcan Rangitoto
Comme il est midi, on me propose un sandwich thon-mayo pour déjeuner. Au moins une chose est internationale : la bouffe infecte des hôpitaux. J'imagine que pour des raison de santé, ils doivent cuisiner sans gras, sans sel et sans sucre. Ca n'a donc aucun goût et c'est Christophe qui fini mon sandwich.

Il y a deux méthodes pour déclencher un accouchement : déposer un gel d'hormones sur le col de l'utérus ou insérer un petit ballon (Foley Bulb) de la taille d'un citron vert à travers le col de l'utérus pour l'encourager à s'ouvrir. La méthode du gel est plus rapide mais potentiellement stressante pour un petit bébé. Me voila donc assignée à la méthode du ballon. Le seul problème du ballon, c'est qu'il faut le garder 24 heures en place pour faire effet. Et comme le bébé est petit, ils préfèrent me garder sur place pour continuer les cardiotocogrammes (CTG) : en plus des battements de coeur du bébé, la machine à CTG permet de suivre les contractions de mon utérus. Visiblement, l'unité de mesure des contractions est le Toco, que nous renommons rapidement "Tacos" parce que c'est plus drôle. 

Mais avant de mettre en place le ballon, on me fait subir la procédure la plus douloureuse qui soit (plus douloureuse même que l'accouchement!) : la pose d'une perfusion dans mon poignet. La sage-femme précise que c'est particulièrement douloureux du fait qu'une femme enceinte a beaucoup plus de sang qu'un adulte normal et que cela requiert donc une perfusion 3 fois plus grosse. En attendant, le moindre mouvement de la main gauche est horriblement douloureux mais bon "c'est juste pour 24 heures".

Côté utérus, le ballon est promptement mis en place au moyen d'un spéculum digne de Star Wars (il fait de la lumière bleue) puis je suis envoyée faire un tour dans le Domain, un grand parc juste au pied de l'hôpital. L'idée est que rester debout et marcher pousse le ballon contre le col de l'utérus et l'encourage à s'ouvrir. Je ne sens pas le ballon mais celui-ci est attaché à un grand tube scotché à ma jambe. C'est ultra seyant, heureusement que j'ai emporté un pantalon très large pour camoufler ça.
Schema du ballon "Foley" en place

Deux heures plus tard nous sommes de retour pour un CTG et le dîner. Christophe, en voyant le contenu de mon assiette, ressort la réplique des Inconnus "Oh zut, le patient a tout vomi dans son assiette! ah non pardon, il n'a pas commencé.". C'est une bouillie de poulet avec du choux cru, des bouts de patate douce et du riz. En dessert, il y a un yaourt allégé. Le riz est mangeable.

Comme il n'y a rien d'autre à faire, on se regarde un film sur mon PC puis on s'endort.

Lundi 8 janvier : le grand jour ?
Ce matin, après un petit déjeuner immonde (du porridge sans sucre et des toasts avec de la margarine) et un nouveau CTG, je suis renvoyée en balade dans le Domain. On va finir par bien le connaître ce parc. Ma perfusion me fait un mal de chien malgré toute la glace que j'ai mis sur mon poignet cette nuit. Je ne peux même pas m'attacher les cheveux, du coup Christophe prend un cours de coiffure en accéléré (et le résultat n'est pas trop mal!).
Toujours prévoir un pantalon large pour camoufler les tubes!

Nos pérégrinations nous mènent à Parnell, le quartier voisin. Lors d'une pause pipi bien méritée, panique à bord : je perds du sang. Nous appelons l'hôpital qui nous dit de rentrer pour vérifier tout ça. Nous voila de retour dans la chambre et il se trouve que tout va bien, c'est juste le col de l'utérus qui est un peu irrité par le ballon.

Le ballon, lui, a décidé qu'il en avait assez et une heure plus tard, le voilà qui tombe tout seul. C'est très bon signe nous dit la sage-femme : le col a commencé à se dilater. Aura-t-on un bébé avant ce soir ? Ca tomberait bien : Pauline et Kévin, des amis de France, atterrissent aujourd'hui à Auckland, le timing serait impeccable.

Malheureusement, nous nous heurtons alors à un problème logistique : pour passer à l'étape suivante (ouvrir la poche des eaux et déclencher les contractions), il nous faut une place libre en salle d'accouchement. Or, il semble que la moitié des femmes d'Auckland aient décidé d'accoucher en urgence aujourd'hui et nous piquent la priorité sur les salles. Les 24 heures sont maintenant écoulées et on attend... On nous dit donc d'aller faire un tour dans le Domain et qu'on nous appellera si une place se libère.

A 18h, toujours pas de place. Je demande donc si il m'est possible de sortir pour la soirée, retrouver nos amis pour dîner. La réponse est non : une place pourrait se libérer d'un instant à l'autre et ils ne veulent pas devoir me courir après à travers Auckland. C'est pas juste. Par rébellion, je refuse mon plateau repas d'hôpital et Christophe va nous chercher des burgers à Burger Fuel. Au moins un bon repas en 48h.

Mardi 9 janvier : le grand jour ??
Au final, toute la nuit est passée et personne n'est venu nous chercher pour accoucher. J'en ai ma claque et menace de rentrer chez moi. Après tout, les CTG du bébé sont impeccables, il est toujours bien actif, j'ai toujours mal à cette fichue perfusion, on n'a pas pu voir nos amis et la bouffe est infecte. Ca commence à bien faire!

Dans l'heure qui suit, un médecin et deux sage-femmes se relaient pour nous expliquer que ce n'est vraiment pas une bonne idée de partir. Bon ok, on reste mais scrogneugneu.

Un peu plus tard, voilà Pauline et Kévin qui viennent nous rendre visite. Au final, le décalage horaire les a tué la veille donc on n'aurait pas pu dîner ensemble. Pauline, infirmière à l'hôpital de La Ciotat, est impressionnée par celui d'Auckland: "Peuchère, c'est pas de l'hôpital de pédé ça! ". On devrait proposer ça comme nouveau slogan de l’hôpital.
Pas un hôpital de pédé selon les avis compétents

Une fois n'est pas coutume, nous partons tous faire un tour dans le Domain... et 30 minutes plus tard nos téléphones sonnent : "on a une place en salle d'accouchement, c'est votre tour!" ...oh bother ! Shit just got real!

De retour à l'hôpital, on nous dit de faire notre sac : on ne reviendra pas dans notre chambre avec vue. Puis nous nous dirigeons vers l'aile d'accouchement où j'ai de nouveau une immense chambre avec jacuzzi, ballon Suisse, salle de bain, et la vue sur la baie. On a presque envie d'accoucher plus souvent.

Bon c'est pas le tout mais il y a du boulot ! Première étape : percer la poche des eaux. Grace au passage ouvert par le ballon, la sage femme peut faire passer un petit crochet (l'amnihook) et déchirer la poche. Ca prend un peu de temps puisque, comme annoncé vendredi, il ne reste plus beaucoup de liquide amniotique, ce qui fait que la poche est plaquée contrer la tête du bébé. Ca ferait un peu tâche de lui égratigner le crane avant même qu'il ne soit né. Au final, la sage femme appelle une de ses collègues experte en amnihook et la poche est promptement ouverte. C'est assez surprenant comme sensation : c'est comme se faire pipi dessus, ce qui ne m'est pas arrivé depuis 25 ans.

Et une fois n'est pas coutume, je suis envoyée faire un tour dans les couloirs avec instruction de revenir toutes les 20 minutes pour vérifier si les contractions commencent d'elles-même.

Au bout d'une heure d'aller-retour, la machine n'affiche résolument que 10 tacos, va falloir passer à la vitesse supérieure : la perfusion de syntocine, une hormone artificielle, pour lancer les contractions. La sage-femme me rappelle qu'à tout moment je peux demander une péridurale mais qu'il vaut mieux ne pas attendre que la douleur soit insupportable au cas où l'anesthésiste serait occupé. Sans compter qu'il faut une vingtaine de minutes pour que la péridurale fasse effet.

Ca commence presque doucement, comme des crampes de règles classiques. C'est le moment de mettre en pratique la technique de la respiration "on inspire profondément pas le nez, on souffle par la bouche". Hummm Pfffff, Hmmm Pfffff... les crampes ne restent pas légères longtemps, ça commence à bien serrer. Christophe peut suivre les contractions sur la machine à tacos : wouuh ! 80 tacos, c'est un high score ! Enfin c'est pas si pire... jusqu'à ce que la sage-femme dise "c'est un bon début, on devrait pouvoir augmenter la dose de syntocine!". Noooon...
Exemple de CTG: en haut le rythme cardiaque du bébé, en bas les contractions.
La sage-femme me propose un paracétamol pour la douleur. Je crois que je vais plutôt choisir la péridurale. L'anesthésiste est occupée sur une césarienne mais à peine 20 minutes plus tard, la voilà qui apparaît dans la chambre avec son chariot. Elle est très pro et fait une liste express en 5 points des choses à savoir sur la péridurale, notamment les probabilités de perdre le contrôle de ses jambes pour quelques jours. "oui oui, c'est très bien, allez allez, la péridurale svp!".

Pour une péridurale, il faut rester complètement immobile, ce qui n'est pas évident avec les contractions toutes les minutes. Enfin le plus douloureux dans l'affaire, c'est l'anesthésie qui précède la pose de la péridurale en question. J'en pousse même un petit cri de douleur, ce qui fait peur à Christophe. "Ca va ? T'as encore pas crié pendant les contractions, ça doit être super douloureux la péridurale!" Ben non, c'est juste qu'on m'a dit de souffler pendant les contractions alors je souffle. Par contre on ne m'a pas dit de ne pas crier pendant la piqûre alors je crie. Christophe tente aussi d'observer l'anesthésiste poser la péridurale mais la vue de l'immense aiguille lui retourne le coeur et il revient plutôt me tenir la main.

Ensuite l'anesthésiste me demande de la guider en lui indiquant si je sens des picotements dans une jambes ou l'autre. Diable! Oui je sens des picotements : j'ai la jambe gauche qui fourmille comme si je m'étais mal assise pendant des heures. L'anesthésiste farfouille un peu et les picotements disparaissent. Il n'y a plus qu'à attendre que le produit fasse effet.

Une vingtaine de minutes passent et la douleurs n'a pas l'air d'avoir diminuée. L'anesthésiste décide donc d'essayer un produit différent. Pour le coup, ça marche vraiment bien... sauf sur un point de mon ventre à droite. Sur ce point-ci, chaque contraction fait l'effet d'un coup de couteau qui dure une bonne minute. La machine à tacos indique maintenant régulièrement un score de 100 à 120 tacos, ça ne rigole pas et moi non plus. La sage-femme retourne chercher l'anesthésiste.

Encore une minute de farfouillage et elle trouve pile le bon point. A partir de là, c'est le pied au sens propre comme au figuré : je ne sens plus les contractions ni mes jambes. La machine à tacos s'affole toute seule et moi je suis relax.

Le désavantage de la péridurale, c'est qu'on perd aussi le contrôle de sa vessie. La sage-femme commence donc à me poser un cathéter avant de s'arrêter : "je crois que vous êtes entièrement dilatée, le bébé arrive." Une médecin passe pour confirmer. "Ah bah du coup vous allez bientôt devoir pousser, allez hop, on coupe la péridurale!". Qu'est ce que c'est que cette arnaque ! Rendez-moi ma péridurale !

A ce moment arrive Linda, la sage-femme qui m'a suivie pendant 9 mois. Elle confirme qu'il faut que je puisse sentir mes muscles pour pousser donc je suis privée de péridurale. C'est un complot.

Une heure plus tard, les effets de la péridurale se sont suffisamment dissipés, on passe au "poussage". Linda donne les instructions : "à la prochaine contraction, poussez de toutes vos forces, comme pour un gros caca!". Ca déroute un peu mais au moins c'est clair. Par contre je lui conseille de changer de place parce que je ne réponds pas du résultat si elle se trouve en face de moi alors que je pousse aussi fort que possible ce qui semble être la plus grosse commission de ma vie.

Le bébé n'a pas que ça a faire de sa journée, moins d'une heure de poussée plus tard, la tête commence à apparaître. "Vous voulez un miroir pour voir ça?" me demande Linda. Ca ne va pas la tête! Qui peut bien avoir envie de voir ça?! Pas de miroir pour moi, merci. D'ailleurs je demande à Christophe de ne pas regarder non plus. Encore une poussée et la tête sort, une autre et c'est tout le corps qui suit. On dirait une sorte de grosse aubergine bleu-grise avec des tâches rouge et un peu de résidus de vernix blanchâtre. Une seconde plus tard, l'aubergine se met à hurler et on me la pose sur le ventre. Enfin après 9 mois d'attente, le 9 janvier à 18h35, la grande révélation : c'est une fille !
Une aubergine avec un chapeau... et moi.

A part la couleur, tout semble bien aller. Linda pose un petit clip sur le nombril de notre fille et tend une paire de sécateurs à Christophe pour qu'il coupe le cordon.

On me fait une piqûre pour que j’éjecte le placenta. Effectivement, il n'est pas bien gros et fait un peu la tête. Une semaine de plus aurait été beaucoup lui en demander. On nous demande pour la dixième fois si on veut récupérer le placenta mais comme ce n'est pas trop dans nos traditions, il part à l'incinérateur.

Les aventures ne sont pas finies. J'ai une légère déchirure au périnée qui nécessite quelques points de suture. Et là, c'est le drame : un des étriers de la table d'accouchement est bloqué, impossible de le sortir pour que je repose mes jambes pendant la suture. Qui est le seul dans la salle avec les mains libres : le nouveau papa ! Christophe est promptement recruté comme "porte-jambe" pour remplacer l'étrier. Ca prend un bon moment mais enfin, l'accouchement est officiellement terminé ! Nous avons une fille de 2,480kg et 47cm.

Pas de temps à perdre pour l'hôpital d'Auckland. Il y a encore la queue derrière moi pour que d'autres femmes accouchent. Christophe est envoyé chercher la voiture et le siège bébé pendant que je prends une douche rapide. Et enfin, enfin ! On me retire la perfusion, Hallelujah !

Une demi heure plus tard, nous sommes tous les 3 dehors, en route pour la maison de repos. La partie facile vient de terminer... mais ça c'est une autre histoire.

FIN.


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