Lundi 26 septembre
Aujourd’hui, c’est mon premier jour de boulot depuis plus de
cinq mois. Premier réveil avant 9h30, le choc est difficile. Pendant que je
grelotte sur le canapé, Christophe me prépare et me sert mon petit-déjeuner.
L’entreprise kiwi qui vient de prendre le risque de m’embaucher
s’appelle Texmate. C’est une petite compagnie d’une quinzaine de personnes qui
conçoit et fabrique des produits électroniques et des automates programmables.
Ils fabriquent aussi des sonars pour la pêche ou pour trouver les cadavres dans
les rivières, m’a précisé Rolla, le directeur commercial. J’avais passé un
entretien dans cette boite vers mi-juin et j’ai reçu une réponse positive début
septembre. C’est à ce rythme là que j’ai reçu mon contrat la semaine dernière.
C’est tranquille la Nouvelle-Zélande.
De même, lorsque j’ai rapporté mon contrat de travail, la
patronne m’a dit de venir vers 9h mais de ne pas paniquer si j’étais prise dans
les embouteillages du Harbour Bridge, que j’arriverais quand j’arriverais.
Ce matin, je me prévois donc une heure de trajet au lieu des
25 minutes nécessaires en temps normal. Je me retrouve alors à 8h30 devant
l’entreprise, un peu ennuyée, et ne sachant pas s’il vaut mieux attendre 9h
dans la voiture ou me pointer très en avance.
Finalement, j’opte pour la seconde solution et je me retrouve
à attendre l’arrivée de mon responsable une dizaine de minutes. Celui-ci fini
par arriver, c’est Gerald, un philippin. « Hello, I am Gérald, have you watched the game Saturday? ». Après
l’échange d’usage sur les capacités et les performances des deux équipes, nous
passons à l’atelier. Il me donne une semelle en caoutchouc à mettre sous mes
chaussures, avec une longue lanière qui doit être en contact avec ma peau pour
me relier à la terre. Ensuite, il me montre une petite plaque métallique où je
dois poser le pied et appuyer sur un bouton pour vérifier que je ne suis plus
chargée. « Tu appuis sur ce bouton et quand ça s’allume en vert, c’est bon ».
Puis il fait une démonstration et là, le voyant s’allume en rouge. Il a l’air
un peu étonné mais il hausse les épaules et passe à la suite.
Pour ma première semaine, je vais faire de la soudure. J’ai
oublié de préciser que je n’ai pas trouvé un poste d’ingénieur mais de
technicien en électronique. Je n’ai pratiquement jamais fait d’électronique
mais j’aime les défis, et surtout je voulais le salaire ($40 000 NZ brut,
bon d’accord, en euros c’est moins impressionnant). Le big boss, Anthony, ne
faisant pas vraiment confiance à mon diplôme français, m’a prévu une semaine à
faire le boulot des ouvriers dans l’atelier, c'est-à-dire souder, souder et
souder.
Gérald me montre donc mon poste et me tend une carte
électronique hors d’usage pour faire joujou. « Commence par dessouder tous
les composants que tu peux ». C’est plus facile à dire qu’à faire mais au
bout d’une petite heure, j’ai déjà dégagé la plupart des relais et des divers
composants de la plaque. Gérald revient, jette un coup d’œil critique à mon
travail et me dit « Maintenant, ressoude les composants comme ils étaient ».
Et c’est reparti pour un tour. Par contre, ça va beaucoup plus vite de souder
que de dessouder. C’est un des rares cas ou détruire prend plus de temps que
construire.
Je n’ai pas encore décrit l’environnement et l’ambiance de
travail. Texmate occupe un petit bâtiment à deux étages. L’accueil se trouvent
au rez-de-chaussée, et les bureaux se trouvent au premier étage. Derrière le
bâtiment se trouve la zone de production dans grand hangar avec des machines
assez sophistiquées et des grandes paillasses pour nous-autres ouvriers. Avec
moi, il y a Léa, Mercy et Nick, tous trois philippins. Je ne sais pas pourquoi,
mais je sens que mon niveau d’anglais ne va pas faire beaucoup de progrès. Sur
ma gauche, il y a une toute petite salle où s’entassent un malais dont j’ai
oublié le nom et Amid, un iranien qui ne parle pas un mot d’anglais. Dans une
autre salle, un peu plus grande, se trouvent les techniciens. C’est mon futur
fief. Là, travaillent Rolla qui est sud-africain et Cesar qui est mexicain.
Dans l’atelier, il y a un dernier philippin mais je n’ai pas encore saisi son
nom.
Bref, avec tous ces philippins, il y a une joyeuse ambiance
même si je ne comprends pas encore un mot de ce qu’ils disent. A ceux qui me
diront « C’est pourtant facile le tagalog », je réponds « probablement,
sauf que mes collègues parlent un des 27 dialectes des Philippines et ce n’est
pas du tagalog ». Par-dessus tout ça, un poste radio diffuse AntiquitéFM
avec en guest-star Elvis Presley, Doris Day et Franck Sinatra. Je suspecte la
chaine de radio d’avoir une liste de lecture assez limitée puisque tous mes
collègues connaissent les paroles par cœurs. A l’occasion, l’atelier se
transforme donc en karaoké géant. De temps à autre, quand le philippin sans nom
passe près de nous, mes 3 collègues pouffent de rire et lui lancent des
boutades qui semblent bien les faire rire. Mercy m’explique que la victime des
moqueries s’est fait couper les cheveux par sa femme ce weekend et,
effectivement, le résultat est assez atroce, on voit nettement les traces de
tondeuse sur sa « coiffure ». « Elle devait être très énervée
contre toi » lui lancent mes collègues et le pauvre homme rit de bon cœur.
Soudain au milieu d’un Da Doo Run Run endiablé, tout le
monde se lève et disparait. Gerald me dit : « Tea time ». C’était
donc ça. Le tea-time dure un quart d’heure et tout le monde se retrouve dans la
cuisine-salle-à-manger de la boite pour le thé du matin. Sur l’évier, en plus
des robinets froid et chaud, il y a le robinet d’eau bouillante, pour le thé. La
plupart de mes collègues en profite aussi pour manger leur premier sandwich de
la journée.
Le quart d’heure passé, nous revenons à nos soudures. Gérald
inspecte ma carte entièrement reconstituée et semble satisfait. Il m’apporte
alors un rack d’une vingtaine de cartes électroniques comportant chacune 10
circuits. Il me faut alors souder sur chacune d’entre-elles un petit composant
à trois pattes. Lorsque le composant est soudé, il faut séparer le circuit de
sa plaque et ainsi de suite pour les 9 circuits restants.
A midi et demi, rebelote, toute activité cesse. « Lunch
time ». J’aurais deviné, surtout que je meurs de faim. Nous revoici tous
dans la cuisine. Je me fait un bol de ramen tout préparé, il n’y a qu’à rajouter
l’eau bouillante grâce au robinet spécial. La discussion générale tourne
essentiellement autour du match France-Nouvelle Zélande mais tout le monde s’accorde
sur le fait que nous nous sommes bien défendu contre les mighty AllBlacks. Quand
la discussion ne concerne pas le rugby ou la coupe de cheveux du pauvre philippin,
mes collègues s’amusent à charrier Amid l’iranien en l’appelant « terroriste ».
Le gentil Amid ne comprend pas un mot et se contente de sourire en hochant la
tête.
En vingt minutes les repas sont avalés et nous profitons d’un
rayon de soleil à l’extérieur du hangar. Par contre, il y a une usine de sauce
soja pas loin et l’air n’est pas exactement printanier. Au bout des 30 minutes
réglementaires attribuées à la pause déjeuner, nous reprenons les soudures. Au
bout, d’un moment, Gérald m’offre une promotion, les circuits ont été programmés
grâce au petit composant à 3 pattes fixé plus tôt, je peux donc coupé le
morceau de circuit qui contient le composant (*sic*) et en souder un autre,
cette fois à quatre pattes.
A 15h15 pétantes, c’est la « Siesta » comme disent
mes collègues : quinze minutes de pause collective. Mon bol de ramen ayant
été bien maigre, je suis ravie de pouvoir dévorer une barre de céréales pour
mon quatre-heure.
Au retour de la pause, j’ai une nouvelle promotion, j’ai le
droit de souder mon circuit à l’intérieur de son boiter. Pour cela, il ne faut
pas faire trois ni quatre soudures, mais cinq ! Tout aurait pu bien se passer sauf que le boitier est en plastique et qu'un gros morceau de plastique se trouve au milieu du circuit. Alors que je n'ai pas encore pris le coup pour souder sans toucher les bords, je sens une horrible odeur de brulé : avec le dos du fer, j'ai fais fondre la moitié du bout de plastique. Je suis paniquée : "Gérald va être furax, il vont me demander de rembourser le circuit, me renvoyer, me couper en morceaux". Je cherche mille façon d'annoncer mon erreur à Gérald sans en trouver de satisfaisante. Lorsqu'enfin je prends mon courage à deux mains et lui montre la pièce brulée, il glousse et la jette à la poubelle avant de repartir. J'ai survécu.
Enfin, à 17h10, Gérald passe à côté de moi tout étonné « Barbara,
you are still here ? You can go ! ». Je n’ai pas besoin de me le
faire dire deux fois, je bondis dans ma Subaru en direction de la maison.
Contrairement à ce que je craignais, le traffic est un peu ralenti mais le
retour se fait sans problème, j’arrive même avant Christophe à la maison.
Avec le changement d’heure du weekend, il fait nuit beaucoup
plus tard et il fait encore très beau quand nous rentrons. Demain, je ferai de
nouveau 8h30 – 17h, c’est la belle vie même si je ne peux déjà plus voir un fer à souder en peinture !